Les non-dits sont souvent les pires traitements. Gwynplaine sent bien la tension qui l’oppose à Ursus et la tension qui l’oppose même à lui-même. Il comprend dans les regards de son père de cœur qu’il attend quelque chose de lui qu’il a conscience ne pas forcément être capable d’apporter. Il sent l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête, et le compte à rebours enclenché. Si cela ne tenait qu’à Gwynplaine, il resterait dans une sorte d’entredeux où il n’aurait pas besoin de prendre de décision, où il n’aura pas besoin de faire de mal à Déa. Parce que c’était cela le pire, Gwynplaine culpabilisait pour Déa, il lui avait tant et tant de promesse en ayant vraiment envie de les réaliser, en souhaitant vraiment les respecter. Mais maintenant, il se rendait compter qu’il n’avait finalement plus aucune carte en main. Le jeune homme avait cru bêtement qu’il aurait eu la possibilité de choisir son destin, il avait cru qu’en ayant le pouvoir, il aurait ce qu’il voudrait, qu’il pourrait lui-même choisir la suite des événements. Mais c’était sans compter ceux qui avaient plus de pouvoir que lui encore.

Gwynplaine tentait donc du mieux possible de ne pas se laisser en proie à ses doutes et de laisser le moins possible apparaitre cette situation parce qu’il était plus facile de jouer les autruches et de ne pas assumer les conséquences de ses actes. Mais ce n’était visiblement pas suffisant. Le jeune homme n’eut pas besoin d’entendre les paroles de Déa pour comprendre qu’il y avait quelque chose, quand elle vint se serrer contre lui, tremblante un peu. Il ne dit rien, la laissant prendre la parole en première, en espérant qu’elle n’aborderait pas le sujet qui les hantait tous sans qu’elle ne soit capable de savoir de quoi il était question encore. Mais évidemment, elle l’aborda.

Elle a forcément compris, sans savoir de quoi il était question, elle comprenait. Parce que Déa sentait les choses, elle n’avait pas besoin de les voir pour les comprendre. Ce qui était sans doute pire pour eux finalement, pour Gwynplaine surtout, parce qu’elle lisait en lui comme dans un livre ouvert et qu’il y avait des choses qu’il aurait aimé lui épargner. Mais quand il fut question de répondre à sa remarque, alors qu’elle attendait sans doute qu’il se dévoile, Gwynplaine eut envie de ne rien dire du tout, de prétendre que tout allait bien. Mais il savait qu’elle ne le croirait pas, elle ne lui ferait pas une telle remarque si elle n’avait pas conscience que quelque chose n’allait pas. Gwynplaine ne répondit pas de suite, il se contenta de caresser doucement son bras… son cœur battant un peu plus rapidement. Il cherchait comment dire les choses, en essayant d’avoir le courage de les dire.

« Il y a un… » Gwynplaine sentit sa gorge se serrer. S’il avait écouté Ursus, ils seraient déjà partis loin, mais ce n’était pas le cas. « J’ai… » Comment dire les choses ? Devait-il les dire ? « Le roi… » Le roi, lui-même en personne. « Le roi m’ordonne d’épouser la duchesse… »

Voilà, c’était dit.

Gwynplaine redoutait évidemment la réaction de Déa, il n’avait aucune envie de lui faire du mal et en même temps, en prononçant ces mots il savait parfaitement qu’il allait lui en faire. Et sa réaction ne se fit pas attendre, alors que s’élève de la colère dans sa voix. La douce Déa, toujours douce, se trouvait en colère à juste titre. De quel droit cet homme décidait de qui Gwynplaine allait épouser. Il était le roi, voilà tout, et ils ne pouvaient pas aller à l’encontre de la décision du roi. Gwynplaine ne comprenait pas tout, il ne connaissait clairement pas assez son histoire pour connaître tous les tenants et aboutissants de son existences, de ce nom qu’il devait porter à présent. Il ne savait pas pour quelle raison le roi prenait cette décision, mais ce qui était sûr en revanche, c’était qu’il n’avait pas le choix. Ou pas réellement en tout cas.

Forcément, Déa ne manqua pas de lui poser LA question difficile, celle à laquelle il n’avait pas envie de répondre. Parce qu’il savait parfaitement que quoi qu’il dise, ça ne sera pas ce qu’elle voudrait l’entendre dire. Enfin, si, il y avait une réponse qu’elle attendrait de sa part, mais en même temps Gwynplaine savait bien qu’elle n’était pas vraiment envisageable.

« On… » La voix de Gwynplaine était serrée dans sa gorge. « On pourrait fuir. » Reprit-il. Cette façon de le dire prouvait bien que ce n’était pas réellement la solution envisageable, il y avait ce mais qui allait forcément arriver par la suite. « Mais on deviendrait des fugitifs, des gens recherchés par le roi lui-même. Il va nous traquer, jusqu’à obtenir ce qu’il souhaite. »

Et si ce n’était pas ce mariage qu’il obtenait, ce serait sa mort. Réparer quelque chose qui aurait peut-être dû arriver des années auparavant quand il avait été privé de ses parents. Gwynplaine pourrait prendre le risque pour lui-même, après ce qu’il avait vécu, ce ne serait peut-être pas grand-chose. Mais à aucun moment il n’avait eu l’intention d’offrir une vie de fugitive à Déa, elle méritait tellement mieux. Tellement mieux que lui au final, on en revenait toujours à la même chose. Il l’entrainait dans le fond.

« Je ne sais pas que faire… »

Ce n’était pas tout à fait exact, au fond Gwynplaine savait ce qu’il devait faire, mais il ne parvenait pas à réellement se l’avouer à lui-même. Il n’avait pas le choix, il se devait d’accepter cette proposition. Mais après toutes les belles promesses qu’il avait faites à Déa, il ne parvenait pas à exprimer ses pensées ainsi. Déa et Ursus pouvaient s’en sortir, il n’avait pas le droit de les entrainer dans toutes cette histoire.