Guillaume Grantaire - Parmi tous ces coeurs passionnés, il fallait bien un sceptique !

Grantaire n’a évidemment pas toujours été la personne désabusée qu’il est aujourd’hui. Mais il ne lui fallut que peu de temps pour le devenir. Il apprit très tôt à ne pas en attendre trop de la vie. Son enfance n’est pas une partie de son existence qu’il se plait à se remémorer. Les rares moments de joie dont il se souvient sont ceux passés en compagnie de sa jeune sœur. Entre une mère morte du choléra lorsqu’il n’était encore qu’un enfant, et un père avec lequel il ne s’est jamais entendu, sa cadette est bien l’unique chose de son passé qui lui manque. Quoi que…l’insouciance et la naïveté propres aux enfants, et lui-même n’était alors pas différent des autres, lui manquent aussi, parfois.

Sa famille n’est vraiment pas son sujet de conversation préféré. Non pas que cela l’irrite, c’est simplement qu’il n’y trouve aucun intérêt. Après avoir été déshérité par son royaliste de père, qui avait de toute façon depuis bien longtemps abandonné l’idée de faire quoi que ce soit d’utile de son fils, R s’est empressé de rejoindre la capitale pour y poursuivre ses études dans l’art, l’un des rares domaines qui soulevaient son intérêt, et dans lequel il était naturellement doué.

Malgré la promesse du contact épistolaire régulier que sa sœur chérie lui avait fait jurer de tenir, engagement qu’il continue d’honorer aujourd’hui encore, son départ pour Paris était pour lui l’occasion de s’éloigner de cette dernière. Promise à un bon parti, et toujours dans les bonnes grâces de leur paternel, beaucoup de bonheur semblait attendre cette douce enfant. Et Guillaume considérait que sa vie serait sans doute bien plus belle sans lui pour la ternir.
Si les premiers temps ne furent pas faciles, il apprit cependant bien vite à se débrouiller dans cette grande ville. Les quelques boulots qu’il trouvait lui permettaient de payer son loyer, tout en poursuivant ses études aux Beaux-Arts. Après sa sortie de l’école, Grantaire ne s’est jamais vraiment posé. Que ce soit au niveau financier, professionnel ou sentimental. Officiellement peintre, il n’a jamais eu l’ambition de devenir le grand artiste de ce siècle (non, vraiment, R est quelqu’un de rationnel), alors il continue d’accepter tout offre d’emploi temporaire, dans la limite du légal. Plus ou moins. Et puis, gagner suffisamment pour se loger, se nourrir, et continuer impunément ses jeux d’argent et ses beuveries, voilà bien tout ce qu’il demande. Quant au mariage, c’est un sujet qui ne lui effleure jamais l’esprit.

Alors comment diable s’est-il retrouvé parmi les Amis de l’ABC ? Même lui ne saurait le dire ! Pourtant, ce groupe d’étudiants révolutionnaires et idéalistes se trouve au centre de sa vie. Il n’est pas toujours avec eux, mais presque. Il assiste bien évidemment à leurs réunions durant lesquelles  ils parlent avec passion de leurs idéaux républicains. Bien que, soyons réalistes, sa contribution à pareil rassemblement consiste principalement à y déverser sa bonne humeur et ses plaisanteries (qui parfois se transforment en railleries, au grand dam de certains). Tout en buvant, cela va de soi. Mais en plus de cela, il assiste également souvent au cours de droit que suivent certains d’entre eux. Il y a plusieurs raisons à cela, mais la principale est qu’il apprécie simplement leur compagnie. Une autre de ces raisons est que toutes leurs histoires le font bien rire. Pour le moment, cela lui suffit, et il n’a d’autre souhait que de rester à leurs côtés.

Ce n’est pas que Grantaire soit un homme particulièrement compliqué à comprendre, mais beaucoup de ses traits de caractère sont contradictoires. Il a de nombreux défauts, mais il possède également leurs qualités opposées. Son addiction à l’alcool est bien la première chose que l’on remarque chez lui, mais fort heureusement R est un alcoolique gai. Il n’a d’ailleurs aucun mal à se faire des amis, et sa nature de bon vivant, son sens de l’humour, ainsi que sa constante bonne humeur font généralement de lui quelqu’un d’apprécié. Cependant, il considère que le vin est son meilleur ami car jusqu’à présent il ne lui a jamais fait défaut et a toujours respecté leur contrat : si lui le boit, l’autre lui accorde momentanément de quoi affronter la pitoyable réalité qu’est la vie. A ses yeux, c’est un bon marché. A cet intérêt pour la boisson s’ajoute celui pour les femmes. C’est un coureur invétéré, et il ne s’en cache pas. Dire qu’il s’en vante serait même plus exact. Cependant, malgré  toutes les histoires de ses conquêtes qu’il se plait à raconter en exagérant fortement à l’aide d’une voix forte et de grands gestes théâtraux -mais après tout, c’est ainsi qu’il conte toutes ses histoires- cela ne l’empêche pas d’admirer et de respecter la gent féminine. Il aime la compagnie des moins farouches, et les regarde toutes comme s’il pouvait avoir n’importe laquelle d’entre elles s’il s’en donnait vraiment la peine, mais le pire manque de respect qu’il ait jamais eu envers l’une d’elle fut le vol d’un baiser.

R est quelqu’un d’instruit, et il a des connaissances dans beaucoup de domaines. Il a des notions de sciences et de chant, il s’y connait en droit, en histoire, en musique et en littérature, il sait peindre et est un boxeur confirmé. Mais ce savoir ne lui sert que peu, et principalement lors de longs monologues sarcastiques qui n’ont d’autre intérêt que celui d’amuser ses camarades. Ou de les agacer, parfois, selon son humeur. Ce n’est donc pas qu’il n’a pas d’esprit, loin de là, et à son intelligence se mêle une éloquence qu’il conserve même dans les vapeurs de son ivresse régulière. Seulement ces atouts restent restreints par ce qui est sa principale caractéristique : son scepticisme. Pour lui, l’espoir n’est rien d’autre qu’un mot qu’usent ceux qui n’ont pas encore fait l’expérience de la vie, ou qui se bercent d’illusions. Il est conscient que la race humaine est capable de grandes choses, mais il voit surtout les pires vices qui composent sa nature. Pour lui, ceux qui pensent pouvoir changer le monde, ou ne serait-ce que le rendre meilleur, sont bien naïfs, voir carrément stupides, et il n’hésite pas à faire connaître son opinion à ce sujet. De son côté, il préfère s’éviter toute désillusion et ne croire en rien. Pourtant, le fait que ceux qu’il considère comme ses meilleurs amis -ces révolutionnaires pleins de rêves- soient la quintessence même de cette espérance idéaliste est bien la preuve qu’il n’a pas encore perdu tout espoir, malgré ce qu’il proclame.

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