Et maintenant... ? (Enjolras)

I

l était difficile d'admettre que la vie puisse suivre son cours comme si de rien n'était, et pourtant c'était le cas. Plus personne ou presque n'évoquait encore la soirée du cinq jours, ou bien ce n'était qu'une heureuse anecdote, sans presque de conséquences. Sauf pour tous ceux dont le sang avant trempé les pavés de Paris... Mais le sang avait été nettoyé depuis, les corps avaient été enterrés ou jetés dans la fosse commune, et tout reprenait son cours. Les miséreux demeuraient les plus misérables, les puissants se gargarisaient de ce charmant épisode qui les avait sans doute confortés dans leur sentiment de toute-puissance. Un drame terrible sans conséquence ou presque, et dont Enjolras cultivait une trop grande part de responsabilité pour ne pas se laisser ronger par la culpabilité.

Il ne dormait plus la nuit, c'était impossible, il ne parvenait plus à réfléchir convenablement. Il ne savait plus quoi faire à présent, il savait seulement, et de façon certaine, qu'il fallait bel et bien qu'ils fassent quelque chose... Le monde n'avait pas changé, mais justement, il était important qu'il change, justement, ce constat non plus n'avait pas changé. Et tous ceux qui avaient donné leurs vies au nom de la liberté méritaient que leurs noms soient gravés en lettres d'or, que nul ne sache les oublier. Enjolras avait bien l'intention d'entretenir leur mémoire jusqu'à la fin de sa vie, jusqu'à son dernier souffle, dût-il lui être retiré sur une autre barricade ou à son plus grand âge. L'heure de combattre à nouveau adviendrait, il le fallait.

... mais Enjolras n'était plus tout à fait certain d'être réellement le meneur dont les amis de l'A B C et tout autre aspirant révolutionnaire avait besoin. Il pouvait blâmer les circonstances, mais il devait bien, par la même occasion, accuser ses propres décisions. C'était trop, même pour lui... il se sentait... submergé. Et faute de prendre la moindre décision, pour le moment, il se contentait de rester prostré chez lui, à attendre l'illumination. Rassembler tout le monde (pour peu qu'il y en ait encore à rassembler) ne servirait à rien du tout pour le moment. Ils étaient tous sous le choc, et beaucoup d'entre eux avaient par ailleurs été blessés dans des proportions inimaginables. Il y avait un temps pour tout, mais pas un temps pour la cogitation. Cela, c'était constant.

Quand on frappa à sa porte, il mit un certain temps avant d'aller ouvrir, de son pas devenu claudiquant. De l'autre côté, il y avait Marius. En le voyant, Enjolras se sentit rassuré. Il avait le bras en écharpe, quelques marques çà et là, mais rien de bien alarmant. Il allait bien, il était en un morceau. C'était un véritable soulagement pour lui, vraiment.

-Entre, proposa Enjolras en laissant Marius pénétrer à l'intérieur. Comment tu vas ?

Il y avait les maux physiques, bien sûr, mais il n'y avait pas qu'eux, et c'était cela, qui inquiétait Enjolras.

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hysiquement, il allait bien, ou du moins, selon ses dires, il allait "le mieux possible". Aux yeux du jeune révolutionnaire, c'était d'ores et déjà un soulagement que de l'entendre à vrai dire, car cela signifiait qu'aucune des blessures subies ne devrait lui être fatale, même si certaines séquelles demeureraient peut-être à vie. A ce titre, Enjolras se sentait rassuré pour son ami, mais bien sûr, en lui demandant comment il se portait, il ne s'interrogeait pas tant sur les maux du corps que sur ceux de l'âme et de l'esprit, qui pouvaient bien se révéler plus insidieux, et plus dangereux, à vrai dire, et la réponse de Marius à cette question plus spécifique fut malheureusement sans appel bien que lacunaire.

Ce n'était pas évident... Cela ressemblait bien fort à un euphémisme. En effet, c'était tout sauf évident, et Enjolras ne pensait pas avoir réellement de mal à comprendre ce que le jeune homme entendait par là. Les événements auxquels ils avaient participé, et qui avaient vu tomber tant d'hommes de leurs rangs, laisseraient une marque indélébile dans leurs mémoires. Ils ne pourraient désormais plus vivre sans se souvenir, et se souvenir sans souffrir. Encore fallait-il maintenant savoir faire de cette souffrance une force plutôt qu'une faiblesse. Et à l'heure actuelle, il était difficile de savoir précisément à quoi s'en tenir précisément ni comment réagir exactement... même si le temps leur était compté. Enjolras avait l'impression, peut-être fausse mais bien présente, que les regards convergeaient dans sa direction, que l'on attendait de lui qu'il décide, qu'il fasse un choix. Sauf qu'il ne savait pas. Il ne savait juste pas.

-Je ne sais pas vraiment, répondit-il, ce qu'il avait le sentiment d'être devenu sa phrase fétiche, dernièrement. Lui qui était toujours pétri de certitudes avait le sentiment de ne plus rien savoir sur rien, et c'était un sentiment difficile à vivre. Il pourrait expliciter son propos, mais il ne savait trop comment, il avait besoin de mettre de l'ordre dans ses pensées avant d'accepter de les articuler en présence de son interlocuteur, c'était tout ce qu'il voyait en cet instant. Quoi qu'il advienne, Marius, il n'est plus question pour toi de te joindre à la cause autrement qu'en pensée, décréta-t-il après un moment de silence. Tu as une femme, une famille à fonder, tu es ce pourquoi nous nous sommes battus. Pas lui exactement, mais toutes ces familles qui méritaient de vivre dans une France différente, aux horizons glorieux. Cosette ne te perdra pas, et moi non plus, ça je le sais.

Que d'autres de ses frères d'armes acceptent de rejoindre le combat à nouveau, il ne s'y opposerait pas, fut-il attaché à eux, et il était attaché à chacun d'entre eux. Mais Marius était un cas à part, et il était temps pour lui de mettre un pas de côté. Cosette avait bien failli finir veuve. Et ça ne devait pas se produire.

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e débat était le même, mais différent, malgré tout. Quand Enjolras avait eu le sentiment de consacrer ces dernières semaines à convaincre Marius d'abandonner Cosette pour se consacrer à la cause, voilà qu'il avait le sentiment de devoir le conjurer d'abandonner la cause pour se consacrer à son épouse. Mais il n'avait, en tous les cas, aucun doute quant au fait que la situation méritait d'être ainsi, à présent. Il ne voulait pas brimer Marius, il appréciait sa dévotion à la cause. Et il comprenait par ailleurs que le jeune homme ne veuille rien abandonner, surtout après ce qu'ils avaient vu et vécu. Mais ses priorités avaient changé. Il ne pouvait être un époux digne de ce nom et en même temps un révolutionnaire prêt à mourir pour la France. Ou s'il l'était, alors son attitude décevrait profondément Enjolras. Ce pourquoi ils se battaient, c'était cela : la vie humaine, la famille, le bonheur d'un peuple libre. Il n'avait pas le droit de tout mettre en péril. D'autres se battraient en son nom. Mais lui, à tout prix, il fallait qu'il vive. Qu'il survive.

-Ce n'est pas abandonner, Marius, que de rester en vie. Au contraire, il n'y a rien de plus courageux. Il prit une grande inspiration. Ce n'est pas une punition, c'est... ce qu'il y a de mieux à faire, pour toi, pour ta famille. A quoi bon se battre pour ces valeurs qui nous sont chères si pour cela nous y renonçons. Il maqua une pause. Je ne t'interdis pas d'assister aux réunions, de nous aider à élaborer nos prochains plans si tu le décides. Mais plus jamais je ne te laisserais aller sur le terrain.

Il se doutait que c'était difficile. Lui-même serait incapable de voir la révolution en marche sans chercher à y prendre part. Mais il y avait une grande différence entre lui et son ami. Enjolras, lui, n'avait plus rien à perdre, n'avait jamais rien eu à perdre, en réalité. Marius avait pris le risque, une fois, de faire de son épouse une veuve, bien trop tôt pour que ce soit acceptable. Non, ce n'était définitivement pas une punition, mais ça ne devait en aucun cas être oublié...

-S'il te plaît, Marius. Accepte-le. Pour Cosette. Pour moi.

Il ne savait pas si ces arguments suffiraient à convaincure Marius, mais il n'avait vraiment pas envie d'en débattre ou de se disputer une fois encore avec son ami. Ils l'avaient suffisamment fait, et toutes ces disputes lui paraissaient aujourd'hui futiles. Ils avaient observé le grand dessein. Ils y avaient participé. Ils savaient. Ils ne pouvaient plus jouer en aveugles et prétendre nepas comprendre de quoi il était question. Ce qu'ils décidaient de faire, à présent, serait toujours en leur âme et conscience. Ils ne pouvaient pas faire semblant.

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njolras s'était attendu à devoir batailler plus longuement encore avec Marius (peut-être parce que cela leur était arrivé trop souvent sans qu'aucun d'eux ne cède du terrain à l'autre, ou encore parce que batailler semblait inscrit dans son ADN), mais finalement, ce dernier consentait à l'écouter, plus vite qu'Enjolras ne l'avait imaginé. Marius se sentait rassuré. Il n'avait aucune intention, vraiment, de le braquer ou de le rejeter, il voulait ce qu'il y avait de mieux pour son ami, et ce dernier semblait l'avoir compris. Bien sûr, il observa qu'Enjolras lui en demandait beaucoup... mais ça, ce n'était pas vraiment différent de d'habitude, en fin de compte. Dans la situation où ils se trouvaient, c'était ainsi, il fallait exiger beaucoup des autres, et également exiger beaucoup de soi-même. Ce n'était pas toujours simple, c'était rarement juste, mais c'était ainsi, il était des sacrifices auxquels il fallait consentir. Marius ne pouvait pas sacrifier son mariage et sa famille en construction, alors, à la place, il fallait qu'il sacrifie plutôt son investissement, sans l'abandonner tout à fait, mais en acceptant de mettre un pas de côté.

Pour une fois, donc, ils parvenaient à un véritable terrain d'entente, et c'était peut-être en ce nom que Marius choisissait de se confier ainsi au chef de file des amis de l'ABC. Cela semblerait presque improbable à certains tant ils s'étaient disputés, mais ces disputes ne venaient pas de nulle part... S'ils se prenaient si fréquemment la tête, ce n'était bien évidemment pas pour rien, c'était parce qu'avant toute chose, ils étaient amiis. Alors cette situation les touchait personnellement. Les confessions de Marius étaient celles d'un ami qui s'adressait à un autre, et pour une fois, pour cette fois en tout cas, Enjolras oubliait le rôle qui lui collait à la peau (et qu'il remettait bien souvent en question ces temps derniers) et acceptait d'endosser le rôle de l'ami bienveillant qu'il tenait à être pour Marius malgré tout.

A ses yeux, c'était une véritable erreur que d'avoir caché la vérité à son épouse, mais il était capable de comprendre ce qu'il en était. Il avait voulu combattre, il n'avait pas voulu l'inquiéter ou envisager de la perdre... c'était cet éternel débat qui les avait constamment opposés. Il avait fait son choix au cours de l'insurrection, et c'était un choix qui s'était fait aux dépens de Cosette. Il était normal, il était par conséquent très logique que cette dernière soit en colère.

-Peut-être l'aurait-elle pu, répondit Enjolras quand Marius affirma que Cosette n'aurait pas pu comprendre. C'était à peu près certain, oui, et pourtant, il émettait une réserve malgré tout, il se le permettait. Et si... je lui parlais ? Peut-être comprendrait-elle mieux ton engagement si ce dernier lui était conté d'un point de vue extérieur ?

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njolras n'était pas certain de pouvoir être réellement capable de convaincre Cosette ou de lui faire comprendre l'importance de ce qu'ils cherchaient à construire parmi les Amis de l'A B C, mais puisqu'il fallait dorénavant faire avec cette jeune femme dans la vie de Marius, à plus forte raison qu'ils étaient mariés, il estimait vraiment que ça pouvait être une possibilité valable. Il ne dit rien quand Marius assura qu'il avait le don de rassembler les foules, il n'était pas le premier à lui faire ce compliment, et il y avait du vrai là-dedans. Enjolras savait haranguer le manant, faire preuve de verve et d'éloquence, il possédait un grand sens de la rhétorique et savait se faire entendre du plus grand nombre.

Mais il y avait une grande différence entre le fait de discourir sur la place publique et de convaincre une jeune femme amoureuse dont le mari avait failli mourir au nom d'une cause qu'elle ne comprenait pas que cette cause en valait réellement la peine... d'autant que si Marius avait dû mourir, dans l'état actuel où il se trouvait de détresse morale, il aurait eu certainement du mal à affirmer que Marius n'était pas mort en vain. Il était grand orateur, mais il n'était pas diplomate, en revanche, et si la gent féminine avait généralement à coeur de l'écouter, ce qu'il accueillait toujours avec la plus saine indifférence, il savait que ce n'était pas tant parce qu'il parlait bien que parce que certaines ne savaient demeurer indifférentes à ses jolies boucles blondes. Enfin, ça pouvait malgré tout valoir le coup, et aussi et surtout, en dépit de ce que Marius avait l'air de penser pour le moment, cela pouvait véritablement servir à quelque chose.

-Il y a des dizaines de manières de se battre, Marius. Je te l'ai dit, je ne te veux plus sur le terrain, mais ça ne veut pas dire que tu ne pourras pas nous aider de bien d'autres manières. Même si certaines peuvent paraître sans risques, tant qu'elles nous placent dans le collimateur des gardes nationaux, je pense qu'il est préférable de prévenir et informer les personnes qui nous entourent. Si les choses doivent dégénérer de nouveau, si tu dois en être indirectement la cible... au moins elle saura. J'estime plus juste envers ton épouse de ne pas lui dissimuler ton investissement et leurs raisons dans tous les cas. Il marqua une pause. Si je te propose ça, ce n'est pas juste au nom de notre combat, c'est surtout parce que tu es mon ami, et que je veux que les choses se passent bien pour toi.

C'était la vérité. Il n'irait pas s'amuser à aller trouver les proches de tous ses frères d'armes pour discuter de tout ça avec eux, mais Marius était de ceux qui comptaient le plus pour Enjolras. Et c'était une chose qu'il n'oubliait pas.

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njolras afficha une fine esquisse de sourire. Il n'avait pas son pareil pour débattre et argumenter, c'était même un de ses plus grands talents, véritablement, mais ce n'est pas pour autant qu'il avait forcément envie de s'engager dans une bataille d'arguments à n'en plus finir avec son ami. Cela était arrivé trop souvent par le passé, sans qu'ils parviennent pour autant à tomber d'accord. Cette fois se devait être différente, néanmoins, parce qu'ils ne pouvaient plus prétendre ne pas connaître les conséquences concrètes de leurs actions. Pour cause, celles-ci étaient passé de théoriques à concrètes, et ça avait été particulièrement éprouvant, difficile à vivre, autant pour eux que pour tous ceux qui s'étaient joint à eux sur les barricades. C'était leur force et en même temps leur lot et leur malédiction. Ils parlaient autrefois d'un combat qu'ils n'avaient mené qu'en surface, de sacrifices auxquels ils n'avaient jamais eu besoin de concrètement consentir, mais à présent, c'était le cas, et ils ne pouvaient pas faire comme si de rien n'était. Alors il fallait qu'ils agissent en question, et sans tergiverser, et cela, Marius paraissait l'avoir bel et bien compris, et pour de bon, cette fois.

Il lui assura qu'il ne cacherait plus rien à Cosette. Enjolras ne pouvait avoir aucune certitude à ce sujet, bien évidemment, mais quoi qu'il en soit, il souhaitait à Marius qu'il tienne son engagement. Même s'il avait vu ce mariage d'un très mauvais oeil pour commencer, il savait que son épouse rendait Marius heureux, et quoi qu'il en soit, il voulait bien évidemment le bonheur de son meilleur ami. Et pour cela, le mensonge ne pouvait tout simplement pas avoir sa place, c'était hors de question. Il ne les abandonnerait pas, il prendrait par à l'effort différemment, d'une autre manière, et c'était tout ce qu'Enjolras attendait de sa part, en effet. Et cela ne ferait pas qu'il serait moins utile, bien au contraire. Il fallait seulement qu'il apprenne à protéger sa propre vie, parce que celle-ci était, à l'évidence, beaucoup, beaucoup trop précieuse.

-Oui, on le leur doit, confirma le chef de file des Amis de l'ABC, même s'il avait encore beaucoup de mal à tenir son rôle à l'heure actuelle, il devait bien le reconnaître. L'exercice ne lui était pas facile ou naturel, il n'avait que trop conscience de ce qu'ils avaient perdu, et de ce qu'ils perdraient encore. Est-ce que je peux te demander quelque chose, Marius ? Il hésita, puis finalement reprit. S'il devait m'arriver quelque chose, est-ce que tu prendrais ma suite ? Est-ce que tu prendrais ma place ?

Il l'avait échappée belle, mais la prochaine fois ne serait peut-être pas si heureuse, et il ne pouvait pas faire mine de l'ignorer.

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njolras, rassuré, hocha la tête quand son ami lui assura qu'il était prêt à prendre sa relève si quoi que ce soit devait lui arriver. Ce pouvait sembler être une demande un peu sinistre, mais avoir frôlé de peu la mort avait fait prendre conscience au chef de file des Amis de l'ABC de ce qu'il devait faire ou non, afin de ne surtout pas reproduire les erreurs du passé. Il fallait prévoir, il fallait anticiper... et donc, il était satisfait de savoir que Marius acceptait d'accéder à sa requête. Il aurait pu le demander à de nombreux autres amis de l'ABC, qui avaient gagné sa confiance de longue date, mais sa relation avec Marius était différente. Il avait souvent douté de lui, c'est vrai, mais c'est justement pour cette raison qu'il était d'autant plus convaincu de sa bonne foi à présent. Il savait que Marius était forcément sincère, droit, et prêt à tout pour leur organisation, parce qu'il le lui avait prouvé. Il ne doutait pas de ses idéaux, et de savoir mettre en avant ce qui était essentiel. Choisir Marius était un choix de coeur autant que de raison - choisir Marius était une décision aussi légitime que nécessaire, en somme.

-La question se pose à toute heure, répondit tout de même Enjolras (qui ne pouvait pas s'empêcher de se montrer dramatique même quand personne ne lui avait rien demandé, décidément). Il était toujours un peu trop intense, un peu trop exigeant, mais ce n'était jamais sans raison. S'il se permettait d'agir de la sorte, c'est définitivement parce qu'il considérerait que c'était la meilleure chose à faire. Et la plus juste, surtout. Et maintenant plus que jamais. Il ne sera plus temps de se la poser quand la situation se présentera, ajouta-t-il d'un ton grave. Il marqua une pause. La situation nous a prouvé que tout pouvait changer et s'arrêter du jour au lendemain. Nous devons le prendre en considération, nous n'avons pas le choix.

Il voulait que ce soit clair. Dernièrement, parce qu'on le voyait mal et abattu, on cherchait à l'abreuver d'optimisme. Ce qui était une bonne chose en soi, c'est vrai. Il avait besoin, lui aussi, de sentir que le vent du changement soufflait encore et que certaines occasions pouvaient encore être saisies. Mais pas au mépris de la raison elle-même. Il voulait tout de même admettre les choses pour ce qu'elles étaient, et elles n'étaient pas toujours très heureuses, cela va sans dire. Ils risquaient leurs vies, constamment, et il faudrait qu'ils les risquent s'ils voulaient progresser. Si ce n'était pas pour tout de suite, alors tout de suite étaient du temps perdu. Et ils n'avaient pas de temps à perdre.

-Je te remercie, Marius.

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