It is either Valjean or Javert [pv Valjean :3]

I

l avait eu sa vie à portée de main, et le loisir d'en disposer à sa guise. Des années et des années qu'il traquait sans relâche cet homme qui avait eu l'affront d'échapper à sa précieuse justice, et au moment de pouvoir enfin obtenir gain de cause, au moment de décider de son sort et de le rendre au sort auquel il avait trop longtemps échappé, sa foi avait faibli, son bras s'était abaissée, il avait lâché son arme et il l'avait laissé s'échapper. En toute connaissance de cause, son geste avait devancé sa pensée, sa pensée qui le consignait à un inextricable dilemme, qui le torturerait toujours s'il décidait de survivre à cet épisode.

Javert n'avait jamais connu l'hésitation. Quoi qu'il fasse, c'était toujours en parfaite connaissance de cause, et conformément à des valeurs qu'il estimait non discutables, car elles répondaient à la loi qu'il avait choisi dès son plus jeune âge de servir. Et la loi ne pouvait être contestée. La loi n'était pas dissociable de la morale aux yeux de Javert. La loi était la morale. Il n'y avait pas de distinction à faire, pas de remise en question. Il n'y en avait pas jusqu'à ce qu'il choisisse d'épargner la vie de Jean Valjean. Après qu'il ait épargné la sienne. Eût-il été moral de le briser, n'avait-il pas une dette d'honneur à remplir à présent ? Il ne savait plus qu'en dire ni qu'en penser. Il s'était trahi lui-même, en un instant, en un geste. Et la haine qu'il ressentait pour Valjean se teintait d'une insupportable reconnaissance.

Mais il ne voulait rien devoir à Valjean, et encore moins la vie. En la lui rendant, il n'aurait su la lui ôter plus sûrement, en réalité. Il ne pouvait survivre à cet affront. Le forçat l'avait-il su ? Sans doute... Avait-il planifié ce qui se passerait ensuite ? Nul ne le saurait. Mais Javert savait que l'issue, la seule issue qui demeurait à présent, devait être radicale. Il ne pouvait survivre à Valjean. Il avait trompé jusqu'aux fondamentaux de son être. Il avait fait le choix de sauver cet homme, en faisant ce choix, il avait décidé de se perdre lui-même. Ainsi soit-il.

Javert prit une grande inspiration, jeta un dernier regard aux étoiles. Il n'éprouvait aucune angoisse d'aucune sorte. Il tomberait, les courants de la Seine emporterait son cadavre loin de tout, rendu aux enfers auxquels il s'était voué. Une hauteur de plusieurs mètres séparait le pont de l'eau. Bientôt, quelques centimètres seulement séparèrent l'inspecteur de police de ses flots tumultueux. Un claquement brusque. Le choc fit sombrer Javert dans une douce inconscience. Le vide, enfin, la mort, bientôt... qui le soustrairait à jamais à une vie dont il n'avait plus voulu. A moins que...

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ans son esprit, plus rien. Le vide. Le souffle coupé, le coeur qui ne bat plus, le cerveau anesthésié. Javert était-il vraiment mort, ne serait-ce qu'un court instant ? Si tel était le cas, l'inspecteur de police en reviendrait avec la certitude d'un vide absolu. Pas de tunnel avec de la lumière au bout, pas d'anges ailés venus l'accueillir sur des nuages, pas plus que de flammes infernales pour l'exposer aux tourments de l'enfer. Rien, du vide. Du vide. Puis tout à coup, un retour au souffle, au réel.

Javert n'assimila pas tout de suite ce qui se passait, et cela valait mieux, car il était en tout point préférable pour lui de ne pas comprendre directement ce qui lui arrivait, pas seulement parce qu'il y avait un autre corps penché sur le sien, mais parce que ce dernier appartenait à l'être qu'il abhorrait le plus au monde. Non, il ne comprit rien. Il se contenta de reprendre un souffle rauque, ses poumons recrachant toute l'eau qu'ils avaient ingurgitée. Son coeur qui avait arrêté de battre tambourinait à présent. Un retour à la vie d'une violence extrême, à laquelle l'inspecteur de police n'avait absolument pas été préparé. Après un instant, les yeux écarquillés, déphasés, il se redressa.

-Ne me touchez pas ! lui ordonna-t-il en se reculant de plusieurs pas.

C'était encore lui. C'était toujours lui. Où qu'il aille, il était là. Il avait pensé le traquer toutes ces années, mais l'inverse semblait bien plus probant en fin de compte, et Javert en ressentait une certaine révulsion, bien plus qu'une quelconque reconnaissance. Avait-il donc décidé de ne lui accorder aucun répit ? Où qu'il aille, son ombre le poursuivrait-il ? Il n'avait demandé qu'à pouvoir mourir en paix, se débarrasser de ce fardeau... ne pouvait-il pas lui accorder cette seule et unique faveur ? De toute évidence non... et maintenant, cet épisode allait le poursuivre plus encore que tous les autres.

-Pourquoi vous avez fait ça ?

L'homme allait sans doute invoquer sa morale et sa grandeur d'âme. Pour Javert, ce n'était qu'un châtiment supplémentaire. Il avait voulu mettre fin à cette agonie, et voilà que celui-là même qui prenait la décision de la prolonger était celui-là même qui l'avait créé. N'aurait-il pas pu respecter son seul souhait, qui était de mourir ? Semble-t-il que non... Et Javert comprenait à présent que ses démons ne le quitteraient jamais, et pour toujours, quoi qu'il fasse et quoi qu'il puisse bien décider, comme une sempiternelle punition. A laquelle il avait sans doute eu tort de croire qu'il était capable de bel et bien se soustraire. Il méritait peut-être ce sort, ce constant supplice. Mais jamais le sort ne lui avait semblé si cruel qu'en cet instant.

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a réponse de l'ancien bagnard décocha à l'inspecteur de police, encore faible, une grimace furieuse. C'était de la provocation, il ne voyait que cela. Quels dieux avaient envoyé cet homme sur terre pour le tourmenter sans cesse ? Il l'ignorait, mais il faisait parfaitement son oeuvre. Voilà à présent que même sa propre vie, sa propre mort ne lui appartenaient plus. Valjean s'occtroyait le droit de décider de son existence, et c'était précisément pour se soustraire à cet écueil que Javert avait voulu se donner la mort. Il était totalement dépassé par les propos de son interlocuteur, qui avaient le don de muer le désemparement en rage. Il avait le choix. Il aurait pu le laisser mourir... Mais en lieu et place de les admettre quittes, voilà qu'il lui sauvait la vie pour la deuxième fois en trop peu de temps. Eternel dilemme que même la mort ne savait résoudre. Et que devait-il faire alors ? La vertu du fonctionnaire prise au piège par la vertu du forçat. Et le dilemme qui l'avait mené au pire devait maintenant le hanter à chaque instant.

Que pouvait-il répondre à sa question ? Pas la vérité. Admettre qu'il refusait de vivre après qu'il l'ait autorisé à le faire, reconnaître que c'était lui, et uniquement lui qui avait motivé son geste, lui qui en le sauvant l'avait condamné. Voilà qui lui était impossible. Maintenant désemparé, submergé par les incertitudes dont Valjean, toujours lui, avait refusé qu'il se libère, il ne savait plus quel chemin emprunter. Faute de répondre, l'inspecteur de police se contenta par conséquent d'une autre information, et cette information avait le mérite de ne pas être un mensonge, même si son interlocuteur ne saurait en comprendre les totales implications.

-Vous auriez dû me laisser mourir, décréta-t-il d'un ton sans appel, et qui ne tolérait aucun argumentaire. Maintenant, et la première fois surtout.

Javert donnait peut-être le sentiment d'être un suicidaire invétéré, à tenir ce genre de discours, ce n'était pourtant pas le cas. Javert n'avait jamais envisagé de se donner la mort, d'autant que cela entrait encontradiction avec une religion qu'il affectionnait cela dit moins que la loi qu'il avait si longtemps servie et chérie. Non, il n'avait jamais envisagé cela, pourtant, il l'avait voulu. Parce que ça avait été la solution. A quoi ressemblerait sa vie à présent ? Et que faire maintenant qu'il avait Valjean face à lui et que sa dette envers lui augmentait encore. S'il s'était résigné à ne pas l'arrêter une première fois, devait-il le faire une seconde fois ? Il ne se sentirait pas quitte pour autant. Pour apaiser son âme et le libérer des dilemmes qui lui torturaient l'esprit, il serait sans doute préférable que l'homme qu'il avait traqué une si longue partie de son existence le tue sans sommation, ici et maintenant.

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avert n'avait aucune envie de rester ici, il n'avait aucune envie de discuter plus longuement avec son "sauveur". Il avait juste envie qu'il disparaisse de sa vie une bonne fois pour toutes, et n'y refasse jamais son apparition. Il n'avait pas la moindre intention de se justifier, encore moins l'intention de témoigner ne serait-ce que l'ombre de la moindre gratitude à l'adresse de l'homme qui l'avait tiré des eaux. Cet épisode ne venait qu'ajouter à un dilemme moral qu'il supposait ne jamais pouvoir résoudre. Valjean avait réservé à Javert un sort pire que l'enfer, car il allait devoir à présent vivre avec ces tourments, sans avoir la paix ne serait-ce qu'un seul instant. Et l'homme, non content de l'avoir privé du seul droit qu'il lui restait encore, celui de disposer de sa propre vie, semblait le narguer à présent, lui demandant depuis quand il avait cessé de se battre. Il ne savait rien, il ne comprenait rien. L'homme à qui il aurait pu devoir la mort ne mesurait même pas l'impact de son geste suicidaire. Javert devrait peut-être l'expliquer à l'ancien bagnard, mais il n'avait aucune envie d'avoir ce genre de débat avec lui. Plus simplement, il n'avait aucune envie de lui parler, point, nul besoin de chercher davantage.

-Vous m'avez refusé le seul combat que je voulais encore remporter, se contenta-t-il d'affirmer alors.

Ce qui était vrai. La vie aux yeux de Javert était quelque part un combat, c'est vrai, et lui qui était né dans une cellule l'avait bien vite constaté. Toute sa vie, il s'était battu, et avant tout et surtout pour la justice qu'il s'était engagé corps et âme tout au long de son existence. Avec Valjean, ça avait été un autre combat. Il avait voulu rendre cet homme à la justice qu'il avait trahi, et l'homme avait triché, menti, défié les règles pour se soustraire à son sort. Il ne lui avait pas permis un combat équitable, digne et loyal, il avait distribué toutes les cartes. Le pire, c'est qu'il n'en comprenait même pas la teneur. Mais non, Javert n'avait pas cessé de se battre... Son ultime combat avait été celui qu'il avait mené contre lui-même. En mourrant, il aurait été perdant et gagnant à la fois, il aurait véritablement trouvé le juste équilibre. Maintenant, il accusait une défaite de plus au palmarès, et il devait s'entendre asséner, par dessus le marché, la leçon de morale de cet homme qui avait justement remis en cause toute notion de moralité dans l'esprit pourtant rationnel de l'inspecteur de police. Il n'avait aucun droit de le fustiger comme il le faisait, et pourtant, il n'hésitait pas à le faire. Aux yeux de Javert, c'était un affront supplémentaire.

-Allez-vous en.

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avert à tenterait-il à nouveau de mettre fin à ses jours dès l'instant où Valjean aurait le dos tourné ? Pour tout dire, non... Cet échec cuisant avait mis fin à toute vélléité de recommencer. Pas parce qu'il avait frôlé la mort de près et avait pris conscience de l'importance de la vie, mais parce que ça n'avait plus le moindre sens, à présent. Il avait perdu la seule occasion qui lui était donné de rester en conformité la plus rigoureuse avec les principes qu'il chérissait tant. Dorénavant, il ne savait plus sur quel chemin avancer. Pourrait-il à nouveau servir la justice, faire comme si rien de tout ça ne s'était passé ? Pourrait-il renvoyer Javert aux galères, et lui faire payer ses crimes ? Serait-il capable de le laisser partir et de ne plus songer à lui ? Rien de tout cela. En cet instant, il se sentait vide, comme si on avait extirpé de son corps, de son esprit et de son âme tout ce qui avait toujours fait sa substantifique moelle.

Il n'était plus rien. Plus rien de réel et de tangible. Le constat était tout aussi désagréable qu'éprouvant, à dire vrai, encore plus quand c'était en présence de l'homme qui avait causé ce tourment aupréalable, de l'homme qui était à l'origine de tous ses maux. Qu'il ne s'inquiète pas de le voir recommencer, ça n'arriverait pas. Et la dernière chose qu'il puisse vouloir, c'était d'avoir encore cet homme sur son dos, cet homme qui ne réalisait rien de ce qui lui arrivait, du dilemme qui était les siens, des raisons à son geste qui à lui paraissaient si évidentes qu'elles n'avaient nul besoin de s'exprimer. Il ne comptait pas s'en justifier, non, et encore moins s'en justifier auprès de lui, même si c'était manifestement ce qu'il attendait de sa part.

-Bien sûr que vous ne comprenez pas, répliqua Javert d'un ton désagréable.

La dernière chose dont il ait besoin en cet instant, c'était de la condescendance de l'ancien forçat. Qu'il continue de ne pas comprendre si cela lui chantait. L'inspecteur de police, lui, savait. S'il était mort, ce serait Valjean qui, indirectement, l'aurait tué. Peut-être devrait-il le lui dire, au fond. Mais l'exprimer encore serait lui prouver une fois de plus qu'il avait gagné. Encore une victoire de l'injuste sur le juste. Ce n'était pas tolérable.

-Je vous demande de vous en aller. Il marqua une légère pause. Si vous ne vous en allez pas maintenant, alors je vous arrêterais.

Ainsi son choix serait-il fait. Même si ça ne ressemblait en rien à un choix. Les choix, ceci dit, avaient toujorus été chose accessoire dans l'esprit de Charles Javert. Il n'y avait pas de choix à faire avant il y a peu. Simplement une consigne, unique, à respecter toute sa vie et jusqu'à sa mort.

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i c'était ce qu'il désirait... mais tout ceci n'avait plus rien à voir avec ce que l'inspecteur de police désirait ou non. Il avait fait de la capture de Jean Valjean une obsession, et son arrestation définitive l'aurait soulagé autrefois de cette quête perpétuelle qui l'avait maintenu captif de la volonté de cet homme pendant plusieurs décennies, mais les choses étaient différentes, à présent. Par deux fois, cet homme lui avait sauvé la vie. L'arrêter à présent, ce n'était plus condamner un forçat, c'était également punir l'homme sans qui il ne respirerait plus... oh comme il voudrait ne plus respirer en cet instant. Cela avait été une solution de facilité, évidemment, pour anesthésier ces pensées contraire et mettre un terme définitif au dilemme qui le torturait, mais tout ceci n'avait pu qu'être illusoire, et il en payait le prix. Il respirait toujours, et le dilemme demeurait encore, plus terrible encore qu'avant, car sa dette envers Jean Valjean n'allait qu'augmentait. Cela devrait le décider une bonne fois pour toutes, au fond, faire pencher la balance vers la liberté totale de cet homme. Il pourrait reconnaître qu'il avait de longue dette payé sa dette envers la société. Mais c'était impossible. Et Valjean ne lui facilitait définitivement pas la tâche. Une fois n'est pas coutume, il se jouait de lui, il le torturait.

Il aurait pu s'en aller, fuir dans l'instant, et le sort aurait ainsi décidé de la suite. Javert aurait cessé de le poursuivre, il aurait continué de vivre, puisque ni le Ciel ni l'Enfer ne semblaient encore vouloir de lui, son âme n'aurait pas été soulagée, mais le choix aurait été fait. Mais Valjean lui imposait de nouveau une décision qui n'en était pas une. Il ne prenait pas la fuite, mais aux yeux de l'inspecteur de police, il ne faisait que mine de fuir, une fois n'est pas coutume, et il n'avait plus la patience de jouer à ce jeu-là, plus du tout.

-J'ai entendu ces mots trop de fois, je n'y crois pas davantage aujourd'hui qu'hier.

Combien de fois le lui avait-il fait, ce coup-là ? Prétendre se dénoncer, mais pas sans avoir récupéré Cosette, bien sûr. Se rendre, évidemment, mais pas avant d'avoir sauvé Pontmercy, pensez-vous ! Javert s'était lassé de ce jeu sordide depuis bien longtemps, et il n'avait aucune intention de s'y laisser prendre... Il ne l'avait pas fait à l'époque, il refusait que ce soit le cas aujourd'hui. Tout se décidait maintenant ou jamais. Il ne le laisserait pas partir sans garantie.

-Quelles affaires ? S'il s'agit de la petite que vous avez acheté à ses tuteurs, sachez qu'il ne vous a jamais appartenu de vous occuper d'elle, et qu'elle vivra sans doute bien mieux sans vous.

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ue, dans ces circonstances spécifiques, son interlocuteur trouve encore moyen de se dédouaner et de s'inventer des excuses tenait pour Javert exemple de tout ce qui faisait que la présence de Valjean dans son sillage lui était intolérable. Il trouvait et trouverait toujours une justification à ce qui ne devrait jamais être pardonné, et qu'il lui donne, à lui, l'excuse d'une promesse qu'il ne pouvait pas rompre était aux yeux de l'inspecteur de police une véritable insulte, une gifle en plein visage. Tout dépendait des promesses, n'est-ce pas ? Il avait été manifestement plus prompt à en tenir certaines que d'autres, selon toute vraisemblance. Au moins, cette conversation avait le mérite de remettre un peu d'ordre dans les idées de Javert.

L'instant d'avant, il était prêt à rejoindre les enfers, et à présent, il faisait de son retour parmi les vivants la conclusion nécessaire d'un cercle non pas vertueux mais vicieux, qu'il était plus que temps de briser une bonne fois pour toutes. Pour cela, il n'y avait qu'une seule manière de faire : puisque de toute évidence, il ne devait pas mourir, pas encore ou pas de cette manière, puisque de toute évidence, il ne serait pas capable non plus de tuer l'ancien forçat, il fallait du moins que le criminel retourne au bagne et y expie ses péchés jusqu'à la fin de ses jours. C'était la seule solution. La seule solution valable tout du moins.

Encore fallait-il savoir voir outre les mensonges et les fausses excuses. Bien sûr, le discours de Valjean paraissait tout à fait sincère, mais il l'avait été à chaque fois qu'il lui avait promis l'une ou l'autre chose, promesses jamais tenue sous couvert des circonstances. Il voudrait croire que Valjean allait retrouver Cosette, lui dire au revoir et venir docilement le retrouver dans l'intention réellement sincère d'expier sa peine. Mais il n'y croyait pas. Pas même une seule fraction de seconde. Valjean était sûr et certain de cela : s'il laissait Valjean s'en aller, s'il devait disparaître de son champ de vision, il ne le reverrait pas de sitôt. Quand bien même ses résolutions paraissaient sincères sur le moment, il en changerait, il en changeait toujours, et l'inspecteur de police n'avait aucune intention de le laisser le rouler dans la farine une nouvelle fois, comme si toutes les fois précédentes n'avaient pas été assez, comme si cette situation absurde, alors que Valjean venait de lui sauver la vie (acte héroïque dont il le remerciait d'une bien drôle de manière, il faut le reconnaître), plantant un ultime clou dans le cercueil de sa très grande humiliation.

-Alors dans ce cas je vous accompagne, et je ne vous lâcherai plus d'une semaine jusqu'au moment où je serai pour de bon assuré que vous écoperez de la peine qui vous est due.

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allait-il seulement que Javert soit surpris du comportement et de la réponse de Valjean. Pas le moins du monde. Peu importe les circonstances, son vieil ennemi était fidèle à lui-même, et ce devenait de plus en plus insupportable. Il prétendait être honorable, digne et désintéressé. Mais le moindre de ses actes, le moindre de ses propos était hypocrite, en fin de compte. Lui-même devait croire être la dignité descendue de son socle, et qu'il était intouchable, et que tout le monde devrait louer sa bonté d'âme, mais il n'en était absolument rien. Il était pire que n'importe qui d'autre, en fin de compte, parce qu'il s'attendait à ce que l'on loue et justifie tous ses actes sous le prétexte qu'il avait de "bonnes intentions". En attendant, il ne faisait rien d'autre que ce qu'il faisait d'ordinaire. Il inventait des prétextes, des prétextes que Javert n'avait plus l'intention d'entendre et de cautionner.

Etait-il trop sévère avec l'homme qui venait ni plus ni moins de lui sauver la vie ? Peut-être bien, mais là encore, il avait le sentiment que l'homme l'avait pris au collet. Faire en sorte qu'il lui soit redevable à vie, voilà ce qu'il avait fait, et c'était très certainement la chose la plus vicieuse que l'on puisse concevoir. Cet homme se jouait de tout et de tout le monde. Au point que l'homme de loi commençait à se demander si Valjean ne l'avait pas sauvé dans la seule intention d'obtenir sa reconnaissance et de contracter auprès de lui une dette qu'il ne serait absolument jamais en mesure de payer.

-Le moment ne sera bien choisi, répliqua très sévèrement Javert. C'est toujours votre excuse, et je suis las de l'entendre. Vous vous dérobez toujours sous des prétextes idiots, et ça ne passe plus. Les choses ne vont pas se passer selon vos conditions mais selon les miennes et vous devriez déjà vous estimez heureux que je vous autorise à revoir votre fille quand je pourrais d'office vous envoyer derrière les barreaux sans vous faire cette faveur. Nous irons voir votre fille, et si vous décidez de ne pas vouloir la déranger, eh bien nous nous rendrons immédiatement au palais de justice. Il n'y aura pas d'autre alternative. Et je me moque, très sincèrement, que celle-ci ne soit pas à votre goût.

Valjean avait suffisamment joué avec sa patience... Et il l'avait poussé à bout. Cet homme si fier de l'avoir sauvé était aussi l'homme qui avait causé sa perte. Si tout ne s'était pas résolu avec sa mort, alors tout devait se résoudre autrement. Il ne pouvait pas échapper à la loi et ses rouages, qu'importe ce que pouvait bien lui dicter sa morale. Il était plus que temps de trancher dans le vif.

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e devrait-il pas lâcher du leste ? Après tout, il avait survécu grâce à lui, en compensation, ne devrait-il pas le laisser tranquille, décider de fermer les yeux sur ses actions passées et le laisser tranquille ? Non, c'était impossible, ce n'était pas ainsi que les choses pouvaient fonctionner. Jean Valjean lui prenait tout : il lui avait volé sa tranquillité d'esprit, il lui avait renié le choix qu'il avait sciemment fait de mourir. Il lui prenait tout, constamment, et c'était absolument insupportable. Oui, il devrait afficher sa reconnaissance, mais les vieilles habitudes ont la vie dure, et l'homme de loi n'avait pas la moindre intention de négliger ce qu'il estimait être son devoir... S'il le laissait lui échapper, il n'aurait définitivement plus qu'à mourir de nouveau. Non, il comptait reprendre les choses en main, un point c'est tout.

Quand Valjean affirma qu'il était prêt à suivre ses conditions, Javert était convaincu qu'il y avait forcément anguille sous roche, il en était même sûr et certain... et la suite ne devait clairement que le confirmer. Car il ne suffit que de quelques mots pour que Valjean lui montre presque immédiatement ses vraies couleurs. Avec lui, il y avait toujours un mais, il semblait impossible pour lui de se montrer tout à fait honnête, et pourtant, beaucoup voulaient voir en lui un parangon de sincérité et de vertu. C'était un mensonge. Cet homme n'était qu'un hypocrite et un manipulateur. Et il était temps qu'il fasse cela.

-Vous prétendez respecter mes conditions pour aussitôt vous y soustraire. Non. Nous n'attendrons pas. Si vous ne voulez pas voir votre fille dès ce soir, alors vous ne la reverrez jamais. Comme vous le dites si bien, elle n'a plus besoin de vous, elle s'en consolera bien assez tôt.

Ses paroles étaient cruelles, mais elles étaient à la hauteur de la haine tenace qu'il ressentait à son égard. Un ressentiment vif et profond, qui n'était comparable à rien d'autre. Oui, cette fois, il obtiendrait gain de cause. Il avait frôlé la mort, il fallait que cela signifie quelque chose, un point c'est tout, il ne l'entendrait pas d'une autre oreille.

-Suivez-moi, à présent, et acceptez votre sort. Si vous ne le faites pas... c'est votre cadavre que l'on repêchera dans ces eaux tumultueuses.


La menace était réelle, sincère. Oui, il se sentait encore partagée, tourmenté, en revanche, il restait convaincu d'une chose entre toutes les autres, et c'était du fait qu'il n'y avait qu'une manière de mettre fin à ce conflit qui les déchirait depuis beaucoup trop longtemps : il fallait certainement que l'un des deux meurt. C'était soit Valjean, soit Javert. Puisque le destin avait voulu que Javert vive, alors ce serait Valjean qui en paierait le prix.

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