Le monde est petit [pv Ebenezer]

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rsus n'attendait pas d'être compris. Il avait fait son choix, et c'était un choix sur lequel il ne reviendrait pas. Il n'y avait rien à dire de plus à ce sujet. Il agissait en son âme et conscience, avec la certitude de faire ce qu'il y avait de mieux. Il avait gardé ses enfants sous son aile tant qu'ils avaient besoin de lui, même s'il ne l'avait pas cru tout d'abord, il avait admis que c'était son rôle et sa responsabilité. Mais ses enfants avaient grandi, ils n'avaient plus besoin de lui, et même, sa présence serait un fardeau.

Il ne voulait pas se contenter de rester en retrait et de les attendre. Ce n'est pas ainsi qu'il vivait avant de les rencontrer, ce n'était pas de la sorte qu'il vivrait après leur départ. C'était, en quelque sorte, dans l'ordre naturel des choses, et finalement, même si cela lui serrait le coeur, ce n'était peut-être pas si triste que cela, tout compte fait. Non, pas triste, logique.

-Il n'y a pas à se sentir triste, c'est le bonheur qui attend Dea et Gwynplaine, et c'est tout ce que je leur ai toujours souhaité.

Leur bonheur faisait le sien. Et il voulait y croire. Le bonheur se dévoilait sous des aspects bien différents en fonction de qui l'éprouvait. Ursus n'aurait pas su être heureux à la place de ses enfants, mais il savait que Gwynplaine, lui, le serait, dans le luxe et l'oppulence, et que Dea le serait puisqu'elle serait avec Gwynplaine. Quant à son bonheur à lui, Ursus estimait avoir été plus heureux qu'il ne pensait jamais l'être grâce à eux. Il avait vécu suffisamment de bonheur, il n'avait pas la nécessité d'en réclamer davantage, ce serait trop en exiger.

Quand on a obtenu plus que ce qu'on a jamais réclamer, il faut savoir être reconnaissant et être capable de tirer sa révérence au bon moment. En rajouter encore davantage serait faire preuve d'orgueil voire de cupidité, et il n'en était pas question pour lui. Malheureusement, ce n'était peut-être pas réellement le bonheur qui attendait ses enfants au tournant, mais ça, Ursus était encore incapable de le voir et de le comprendre. Cela viendrait. Peut-être trop tard.

-Ne vous faites aucun souci, vraiment, soyez heureux pour nous, c'est le mieux que vous puissiez faire.

code by Mandy

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on, en effet, cette situation était loin de rendre Ursus heureux, et s'il avait pour habitude d'affirmer qu'il était toujours d'humeur égal, jamais heureux ni malheureux, qu'il n'avait jamais versé la moindre larme de toute sa vie, il était difficile de prétendre que ce qu'il faisait n'était pas un sacrifice. Mais les sacrifices étaient parfois choses nécessaires, et dans ce cas précis, c'était bel et bien de la sorte qu'Ursus le concevait. Il n'en était pas heureux, mais il estimait ne pas avoir le choix pour autant. Il avait besoin de s'assurer du meilleur avenir pour Dea comme pour Gwynplaine, et ainsi qu'il l'observait, ce destin heureux se jouait sans lui, un point c'est tout.

-Le jour où vous et votre épouse aurez des enfants - et je vous le souhaite très prochainement -, vous comprendrez bien vite que votre bonheur à titre individuel importe peu tant que vous pouvez l'offrir à votre progéniture. Cela vaut tous les sacrifices du monde. Mais je ne suis pas un martyre, n'allez pas croire ça, je suis pas taillé pour ça.

Ni pour le bonheur. Cela avait été une chance inespérée, que lui-même n'avait pas tout à fait comprise, sur le moment, que de trouver le chemin de ce gamin au visage défiguré qui tenait entre ses bras cette petite chose haute comme trop pommes qui avait perdu la vue. Dans des moments comme celui-là, on avait envie de croire en Dieu. Ils avaient changé sa vie de toutes les manières possibles et imaginables, et pour cette raison, il n'oublierait jamais de témoigner sa gratitude envers eux et envers... quoi que ce fut qui l'autorisa à partager un bout de chemin avec eux.

Mais certains destins se croisent et se décroisent, et Ursus avait toujours eu une idée très précise de ce qui devait l'attendre pour sa part. C'était comme tout tracé, imprimé dans son inconscient et de son imaginaire de très longue date : il finirait sur les routes, en solitaire, à traîner son éternelle carriole, en compagnie de ce brave Homo qui l'accompagnait partout où qu'il aille, à moins que le brave loup ne s'épuise, puisqu'il était aussi évident que le canidé s'épuiserait avant lui.

-Heureusement que vous n'insistez pas davantage, je ne voudrais pas savoir ce que c'est quand vous vous montrez insistant, ajouta-t-il avec amusement.

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on, en effet, les choses se passent rarement comme on le désire, et renoncer à toute forme de sacrifice par pur confort, c'est un sort qui fait de vous quelqu'un d'irrémédiablement seul.

Etonnant qu'il soit celui qui tienne un tel discours quand on y réfléchit, car en réalité, Ursus était un solitaire dans l'âme, et qui ne s'était jamais caché de l'être le moins du monde, mais les choses avaient drastiquement changé au moment de rencontrer ses enfants. A présent, il continuait de faire mine de vouloir être un loup solitaire qui n'aurait qu'un loup pour compagnie, mais les choses avaient changé, et les nombres de sacrifices accumulées pour Dea et Gwynplaine lui paraissaient encore fort peu en comparaison de ce qui était.

Le constat émis par son interlocuteur pouvait sembler déplaisant : on n'a pas toujours ce qu'on veut, ce n'était pas vraiment si heureux de laisser ce genre d'idée se répandre dans l'esprit des plus optimistes, mais selon lui, c'était une manière comme une autre de justement savoir apprécier la vie. L'on n'était forcément déçu si l'on n'en mesurait pas la cruauté et les limites à temps.

Il parvint à afficher un de ses rares sourires quand son interlocuteur affirma qu'il avait bien conscience de pouvoir se montrer particulièrement insistant, et que son épouse pouvait le confirmer à ce titre. Il était à la fois attendri et amusé de l'entendre. Définitivement, quand son interlocuteur parlait de son épouse, on sentait que c'était le grand amour, le vrai, celui que lui-même n'avait jamais connu, celui que Gwynplaine et Dea connaissaient sans doute. Il trouvait cela particulièrement touchant, à vrai dire. Et au final, il n'en voulait pas spécialement à son interlocuteur d'avoir été insistant, pas le moins du monde, même.

-Vous ne m'avez pas ennuyé le moins du monde, il en faudrait bien davantage pour cela, seulement donné davantage envie de faire enfin la connaissance de votre charmante épouse, le rassura-t-il immédiatement.

Son interlocuteur insistait notamment parce qu'il était armé de bonnes intentions à son égard, et c'était une chose qu'Ursus ne pouvait pas ignorer, au fond. Rares étaient les personnes si bien intentionnées envers lui, en fin de compte. Pour ne pas dire qu'il n'y en avait aucune.

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