Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour remplir les caisses ? (Claude <333)

I

l y avait, dans les sommets de Notre-Dame, une cellule ou nul sinon celui qui s'en était déclaré l'occupant n'avait jamais mis les pieds. Dans cet espace clos, si bien coupé du monde qu'on pouvait en oublier même le prestigieux édifice qui l'hébergeait dans toute sa majesté, l'archidiacre de Notre-Dame pouvait passer des heures et des heures, enfermé là sans en sortir.

Il s'y rendait chaque jour, peu avant que le soleil ait gratifié Paris de ses ultimes rayons, s'y enfermait à clé, et il n'était pas rare de ne l'en voir sortir qu'au petit matin. Abandonné à ses réflexions, qui parfois, bien que doctes à leur manière, rompaient avec le Dogme, il n'y aurait souvent eu que peu de choses à voir à surprendre cet homme, rompu à la contemplation de ce qu'il était seul à savoir observer. Pour autant, il tenait néanmoins à n'être point dérangé pour peu qu'il ne l'ait pas souhaité.

En l'occurrence, quand il entendit des pas monter les escaliers de la tour où sa cellule se tenait, il n'attendait personne, ni ne souhaitait vraiment la venue de quiconque. De qui pouvait-il s'agir, d'ailleurs ? Quasimodo, peut-être ? Le prêtre, qui préférait quoi qu'il en soit surprendre plutôt que d'être surpris, choisit d'abandonner ses quartiers, pour peu qu'on puisse les qualifier ainsi, afin d'aller à la rencontre de l'éventuel importun dont il entendait les pas se rapprocher de plus en plus distinctement, eux dont les pierres de la cathédrale se faisaient l'écho. Il n'eut guère le temps d'atteindre la porte, cependant. L'on y frappait déjà.

Curieux, il ouvrit, et la curiosité s'effaça de son esprit dès l'instant où il reconnut le jeune homme de l'autre côté de la porte. En vérité, il aurait parfaitement pu deviner qu'il s'agissait de lui... mais Jehan, quand bien même il gardait toujours une place importante dans les pensées de l'archidiacre (qui ne saurait tout de même oublier un frère, surtout un frère qu'il avait pratiquement élevé), avait tendance à s'effacer de ses considérations pile au moment où il jugeait opportun de refaire surface. Voilà bien longtemps que Jehan n'avait pas gratifié son frère de la moindre visite, et Frollo n'avait pas à s'interroger très longtemps, c'est certain, quant aux motifs de cette dernière. Il ne le savait que trop bien. Frollo apprécierait, en réalité, que Jehan fasse cet effort dans une autre intention que pécuniaire, mais il ne se faisait plus d'illusions depuis longtemps sur la question.

-La flatterie encourage l'ingratitude, Jehan, répondit posément Frollo, qui préfèrerait s'épargner toute conversation avec son frère si elle devait dissimuler un seul et unique motif, bien loin de l'intérêt que le cadet pourrait avoir pour son aîné. De combien as-tu besoin ?

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V

if d'esprit, Frollo n'estimait pas qu'il y ait réellement nécessité à l'être pour comprendre que son frère n'était apte à se rappeler à son bon souvenir que lorsque ses coffres étaient vides. C'était quelque part assez douloureux à constater. Pas seulement parce qu'il n'était pas agréable de voir son frère gâcher ainsi son potentiel (si tant est qu'il ait vraiment existé) en se comportant de la sorte, mais parce qu'au nom de tout le temps et de toute l'attention qu'il avait daigné lui accorder, l'archidiacre déplorait ce trop peu de gratitude, cette absence d'affection. Et il se reprochait aussitôt de le déplorer par ailleurs, donner sans attendre en retour était supposé appartenir à ses préceptes (même si, dans les faits, l'Eglise donnait rarement sans attendre une compensation, mais il ne parlait qu'à titre personnel et pas au nom du dogme qu'il incarnait)...

Au moins, l'affaire était dite. Que Frollo soit vif d'esprit ou non, la question ne se posait pas et en réalité n'intéressait personne. Jehan n'était là que pour une seule et unique raison : il avait besoin d'argent, et d'une somme qui n'était pas anodine, par ailleurs. Cinquante francs, vraiment ? Il faut croire que le petit frère prenait son aîné pour Crésus, ou la poule aux oeufs d'or. En même temps, il était également vrai que l'archidiacre ne donnait pas réellement matière à le détromper, puisque quoi qu'il advienne et quand bien même il ferait preuve de plus de réserve et d'autorité, Jehan finissait toujours par obtenir tout ce qu'il voulait et par repartir muni d'une coquette somme qu'il allait certainement disperser à tout-va sitôt qu'il avait quitté Notre-Dame, si l'on se fiait du moins à la fréquence de ses visites. Pas qu'il vienne mendier à sa porte tous les jours, certes, mais il fallait quand même constater que l'affaire était fréquente, et que des échanges comme celui-ci n'avaient rien d'inhabituel. A la vérité, c'était même devenu le seul motif de leurs discussions, à se demander s'il y en avait eu un autre à un moment donné.

-Et que comptes-tu en faire ? demanda-t-il sans esquisser pour l'heure le moindre mouvement afin d'accorder au cadet ce qu'il estimait sans doute (et à tort) être son dû.

La réponse importait-elle vraiment ? Sans doute pas, car il aurait peine à le croire quoi qu'il en soit. Mais il l'interrogeait malgré tout. A l'affût d'un prétexte, ou peut-être d'une justification qui soigne sa conscience et le rapproche, qui sait, de son frère. Mais c'était une chimère après laquelle il devrait sans doute cesser de courir, tout covmme il devrait arrêter d'accorder à Jehan le moindre entretien.

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rollo ne répliqua rien quand son frère suggéra qu’il devait penser qu’il ferait le plus mauvais usage de l’argent que l’archidiacre pourrait éventuellement lui prêter. Oui, c’était tout à fait ce que Frollo était en train de penser, et il était convaincu de ne pas se tromper à cet égard, quoi que puisse affirmer Jehan. Ce n’était pas comme si Frollo ne le connaissait pas, en même temps. Même s’ils avaient pris des chemins de vie on ne peut plus différents tous les deux, ce n’est pas pour autant que l’archidiacre avait tout omis de la façon qu’avait son cadet de fonctionner. Au contraire, il pensait connaître son mode de fonctionnement par cœur, sur le bout des doigts, raison pour laquelle il n’avait pas douté une seule seconde du fait que Jehan n’était pas venu le voir pour le plaisir de sa compagnie ou dans l’espoir d’engager une conversation qui manquait à leur relation depuis bien longtemps, mais qu’il était là dans le seul but de remplir ses caisses… ce que Frollo, trop souvent conciliant, et plus généreux encore, lui concédait de relative mauvaise grâce.

Oui, aux yeux de l’archidiacre, les intentions de Jehan ne faisaient pas l’ombre d’un doute : il comptait dilapider cet argent dans des dépenses futiles… mais cette fois, Frollo n’avait pas envie de se laisser faire. Le mensonge était péché, après tout, et il était de son devoir que de ramener tout pécheur, qu’importe son tort, sur le droit chemin, celui de Dieu. Initiative qu’il devrait appliquer à lui-même, c’est au-delà d’évident. Mais il était hors de question qu’il s’épanche sur ses propres états d’âme, du moins pour cette fois.

Jehan affirma qu’on lui avait dérobé tous ses ouvrages, qu’il ne lui en restait plus un seul, compliquant largement ses études. Frollo devrait sans doute donner à son frère le bénéfice du doute, mais le fait est qu’il peinait à trouver la moindre véracité à cette excuse et serait bien davantage tenté d’y voir là un nouveau mensonge éhonté qui était autant une insulte à l’intégrité que l’archidiacre aurait envie de lui prêter qu’à son intelligence à lui.

-En ce cas, donne-moi le nom de ces ouvrages, j’irai les acquérir pour toi.

Donner à Jehan ne le dérangeait pas en soi. Même si leurs relations étaient tendues et compliquées, Frollo voulait tout de même le meilleur pour son frère, c’était sincère. Et en l’occurrence, il pensait que le meilleur pour Jehan n’était pas forcément ce à quoi il aspirait. Jehan avait soif d’alcool et de bonne chair, Frollo voudrait qu’il ait soif de connaissances neuves. Jehan le savait, ce n’était pas sans raison évidemment qu’il avait invoqué l’excuse des ouvrages volés. Alors oui, il était prêt à lui acheter tous les livres qu’il souhaitait si cela pouvait lui assurer que l’argent qui serait dépensé pour son frère aurait un usage digne de ce nom… Mais il sentait déjà advenir une dérobade quelconque de la part de son cadet… Il l’attendait, même, car il est certain qu’en lui adressant une telle réponse, il cherchait également à le placer devant le fait accompli.

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rollo s'attendait bien évidemment à une pirouette de la part de son frère. A force de conversations de cet acabit, il commençait à bien le connaître. Il était assez regrettable que ce ne soit que dans ces circonstances qu'il sache encore le cerner, alors qu'il l'avait pris sous son aile dans leur prime jeunesse, mais c'était un fait, et Frollo savait donc à peu près comment fonctionnait son cadet. Si bien que même lorsqu'il lui arrivait de lui céder, c'était bien davantage par inquiétude et affection que parce qu'il se laisserait réellement duper par les discours bien rôdés de son frère. Il apprécierait, bien sûr, que leur relation prenne une autre tournure, mais il voyait bien qu'il n'en serait rien. Leur discussion tournerait à la négociation, mais cela serait tout. Frollo n'en apprendrait pas pour autant davantage sur la vie de son frère, qu'il imaginait quoi qu'il en soit dissolue, et l'inverse serait très certainement tout aussi vrai. Alors oui, Frollo, loin de s'attendre à ce que Jehan lui récite d'office une liste bien fournie d'ouvrages en tout genre, attendait simplement que son interlocuteur daigne trouvait une excuse qu'il écouterait d'une oreille sans y prêter pour autant de valeur réelle. Et c'est ce qui ne manqua pas de se produire en effet.

Car en effet, au lieu de lui fournir la liste en question, il évoqua sa mémoire défaillante. S'il pensait vraiment s'en tirer à si bon compte avec une telle excuse ! L'homme d'Eglise n'avait pas la moindre intention de se laisser amadouer sous ce faible prétexte. Il en était même hors de question. Cette fois, il ne cèderait pas. Même si une part de lui craignait que cela mette un terme définitif aux visites de son cadet (car même si elles étaient toujours intéressées, elles avaient du moins le mérite d'exister, et c'était une chose qui comptait réellement pour l'archidiacre), il n'était pas une vache à lait que l'on pouvait traire continuellement en s'attendant à ce que la situation ne dégénère pas, à un moment ou à un autre. Frollo n'était pas la moitié d'un idiot, et il était las de se laisser passer pour tel pour complaire aux exigences de son frère.

-Ce serait un risque regrettable, mais il ne doit pas tant t'en coûter de retrouver cette liste et de me l'adresser dès que tu l'auras, n'est-ce pas ? Je peux même t'accompagner, si c'est là le seul soucis.

Qu'il soit contraint d'en faire l'acquisition, de ces livres, Frollo était prêt à regarder par-dessus de son épaule afin de s'assurer qu'il lirait chacun d'entre eux jusqu'à la dernière page. Davantage de lecture et moins de biture serait une bonne manière pour Jehan d'évoluer.

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our chaque argument que l'archidiacre donnait à son jeune frère, ce dernier ne manquait jamais de répliquer. Il brodait ses excuses au fur et à mesure, et si Jehan manquait singulièrement de sincérité, on ne pouvait lui reprocher par contre de manquer d'imagination tant son habitude à mentir lui permettait de rebondir d'excuse en excuse sans jamais en rougir, toujours avec un terrible aplomb. Cette verve et cette capacité à s'inventer constamment des arguments contradictoires pourrait peut-être susciter l'admiration chez d'autres, mais en ce qui concernait Frollo, cela avait surtout le mérite d'aiguiser son exaspération. Il aurait voulu que, pour une fois, son jeune frère prenne ses responsabilités à bras le corps, mais de toute évidence, il pouvait toujours attendre, et attendre pendant très longtemps, manifestement.

Oh, bien sûr, l'archidiacre ne doutait pas que son frère ne soit pas maniaque pour un sou et parfaitement désordonné, mais ce n'était pas pour autant que Frollo goûterait à son excuse ou choisirait de céder à sa requête pour le seul plaisir de cesser de l'entendre mentir. Il savait pertinemment ce qu'il en était, et cette fois, il ne cèderait pas. A la limite, il aurait préféré que son frère lui avoue tout, et qu'il se repente au moins de n'être jamais qu'un panier percé, mais il ne fallait de toute évidence pas en attendre autant de la part du jeune homme, ce qui était encore plus décevant que ses mensonges à répétition, à dire vrai. Cela donnait à Frollo une bonne idée du peu d'estime qu'il avait de lui, et il n'en tirait pas les conclusions les plus reluisantes, c'est le moins que l'on puisse dire.

-Tu as raison, répondit finalement Frollo posément, après un moment. Qu'est-ce donc que tes obséquieux mensonges en comparaison des responsabilités qui m'incombent ?

Il préférait faire preuve pour sa part de la franchise que son frère lui refusait. Frollo était las de tourner autour du pot, et il était également las de prétendre que cette situation ne l'incommodait pas, sans quoi ce finirait par être lui, des deux, le menteur. Jehan était allé trop loin, il avait usé ses nerfs et sa patience pour de bon à l'instant où le nom de "Quasimodo" avait été prononcé, et il préférait, par conséquent, se montrer direct à compter de maintenant.

-Tu te trouves ici dans un lieu sacré, duquel les affabulations sont proscrites. Alors cesse donc, et pour de bon, d'inventer d'absurdes excuses et sois sincères si cela t'est possible. Dis-le moi simplement : à quoi te servira-t-il, cet argent ? Celui que je t'ai donné la dernière fois n'a-t-il donc pas suffi ?

Il aurait tant voulu que son frère s'achète une conscience et un sens moral avec la fortune qu'il accepterait de lui laisser dans ce but. Mais c'était peine perdue.

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n instant, Frollo avait appréhendé que son frère lui fasse l'affront de mentir encore effrontément, campé sur ses positions et certain de pouvoir faire passer ses boniments. Il n'aurait pas apprécié. Il pouvait admettre que le mensonge n'était pas le péché le plus condamnable, et que tout un chacun avait dû mentir un jour, si ce n'est aux autres, du moins à soi-même (et il excellait définitivement dans cet art), mais s'enferrer dans un mensonge destiné seulement à des intentions malveillantes, ce n'était tout simplement pas acceptable. Mais au moins, Jehan décida de se montrer sincère, en tout cas d'admettre en partie les faits bruts, et qui n'avaient pas réellement fait de doute dans l'esprit de l'homme d'Eglise jusque-là.

L'argent qu'il lui avait donné lui avait suffi le temps suffisant. Frollo n'était pas de cet avis. Jehan était un véritable panier percé, s'il prenait soin de ses économies, il est vrai qu'ils se verraient sans doute beaucoup moins, mais l'aîné des deux frères aurait au moins la satisfaction de savoir son cadet engagé sur un chemin convenable... qui ne lui garantissait pas un aller simple vers l'enfer, donc.

Il ajouta que la vie était chère, c'était sans aucun doute l'un de ses arguments préférés. Il est vrai que sur ce point, Jehan devait normalement avoir une vision plus concrète des choses, puisque l'Eglise subvenaitt naturellement aux besoins de l'archidiacre, qui n'avait à se soucier des comptes que dès lors qu'ils concernaient les donations des fidèles. Mais Frollo avait conscience de ce qu'il donnait, et de ce qu'on argent pouvait payer, raison pour laquelle il s'agaçait de le voir ainsi dilapidé.

La vie est cher, ce n'était pas un argument. En revanche, ce que Jehan ajouta ensuite l'était bien davantage, au grand dam de l'homme d'Eglise. Il avait de nombreux devoirs, et l'un d'eux était en effet de s'assurer que son frère ne manque de rien. Il serait incapable de laisser Jehan sans le sou ou livré à lui-même, et il se le reprocherait éternellement si quoi que ce soit devait arriver à son cadet. S'il était une chose que Frollo voulait bien croire, c'est que Jehan n'avait même plus de quoi vivre. Alors il faudrait évidemment qu'il fasse le nécessaire et qu'il cède. Mais il ne renoncerait jamais à la volonté de faire apprendre à Jehan la nécessité de ce qu'il lui accordait, même si c'était peut-être peine perdue.

-Et pour t'abreuver, je n'en doute pas. Frollo marqua une légère pause. Tu devrais peut-être envisager de gagner par toi-même le moyen de subsister. Je ne pourrai pas toujours pourvoir à tes moyens. Encore moins si cela doit subventionner ton alcoolisme latent.

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rollo demeura de marbre quand son frère cadet assura qu'il exagérait certainement en le qualifiant d'alcoolique. Peut-être, mais l'archidiacre n'en était absolument pas convaincu. Le jeune homme courait les bars et les troquets et ne se souciait absolument de rien, estimant que tout lui était dû au point d'oublier même de faire montre de la plus basique reconnaissance. Si Jehan se sentait blessé par ses propos (mais l'homme d'Eglise ne pensait pas que ce soit le cas - le jeune homme était visiblement imperméable au jugement d'autrui tout comme il se fichait bien de ménager son propre frère), peut-être cela le ferait-il réagir le jeune homme. Mais Frollo n'y croyait pas.

En fait, il ne croyait plus en son frère depuis longtemps. Ce n'était pas un constat qu'il appréciait de faire, mais c'était la réalité, nénmoins, et il fallait bien le reconnaitre, par conséquent. L'homme se contentait d'avoir toujours un contre-argument très relatif à lui opposer à chaque fois. Au mieux devait-il être las d'avoir à fournir tant d'efforts pour quelque chose qu'il obtiendrait quoi qu'il en en soit... Cette conversation ne menait définitivement nulle part. Et c'était toujours le cas. L'époque où les deux frères étaient deux frères et non pas deux transacteurs lui paraissait appartenir à un passé lointain, si ce n'est à une autre vie, au bout du compte.

-Et où en es-tu dans ces études, exactement ?

Oui, Jehan obtiendrait ce qu'il souhaitait, évidemment qu'il obtiendrait ce qu'il souhaitait. Mais en attendant, Frollo avait la ferme intention de placer son frère face à ses contradictions et ses responsabilités. L'occasion ne se reproduirait pas ensuite avant un moment. Avant que les bourses du jeune homme soit à nouveau vide, en effet. Frollo ne négligeait pas les études de son frère (ce n'était pas pour rien qu'il les subventionnait, après tout), bien au contraire, il était convaincu de leur importance. Mais il doutait très fortement du sérieux que le jeune étudiant consacrait réellement à ses études.

Pour qu'il gaspille ses compétences et échoue à tous ses examens, Frollo préférait encore que son cadet se trouve un travail de moindre importance. Quand bien même il n'avait pas d'excuse. Le temps qu'il passait à écumer les cafés, il pourrait le consacrer à une tâche rémunératrice ou une autre. Cette seule preuve de bonne volonté encouragerait déjà largement plus l'archidiacre à subvenir aux besoins de son frère. En soi, le rémunérer ne le dérangeait absolument pas. Ce qui le dérangeait, en revanche, c'est que l'on puisse considérer la nonchalance comme un acquis sur lequel il était autorisé à se reposer.

-Je crois savoir que tes résultats sont loin d'être brillants.

Pas parce que Jehan n'était pas brillant, seulement parce qu'il ne faisait aucune sorte d'effort.

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tait-il vraiment possible de mettre Jehan au pied du mur ? Frollo en doutait fort. Parmi toutes les choses qui en lui suscitaient le plus fort agacement, il y avait très clairement la nonchalance de cet homme qui était capable de se moquer de tout, absolument tout... Alors, quand il lui parlait de la piètre qualité de ses résultats, il ne s'attendait pas réellement à une réaction quelle qu'elle soit. Il gaspillait son argent en même temps que son potentiel. C'était insupportable, et c'était un fait. Malgré tout, il parut tout du moins embarrassé, ce qui était d'ores et déjà un début, mais rien ne lui garantissait que cet embarras ne soit pas seulement factice, dans le seul but de l'émouvoir et rien d'autre.

Qu'il prétende que la vie était difficile ou non en dehors de Notre-Dame lui était égal. Il savait très bien comment était la vie au-dehors. Frollo était un érudit, il ne restait pas planqué entre les murs de la sainte église, à attendre que le temps passe en restant détaché vis-à-vis des réalités de ce monde. Au contraire, il cherchait à en saisir la plus infime subtilité. Il avait conscience de ce qu'était la misère, il en avait été témoin. Et justement, il savait par conséquent que Jehan n'appartenait pas à la catégorie des miséreux ou des misérables. Il le prétendait pour dilapider au mieux une fortune à laquelle ces individus, eux, ne pourraient jamais prétendre. Il pourrait faire des centaines de choses de sa vie, et il gâchait tout. Frollo était las d'encourager ce comportement, malheureusement, c'était un cercle vicieux. Il fallait que Jehan veille sur le pécule que l'archidiacre lui accordait afin de vivre confortablement et se focaliser sur ses études, sinon, il devrait également se blâmer lui-même pour les piètres résultats de son frère. En bref, pour cette fois comme à chaque fois, il lui céderait, mais il fallait qu'il s'assure que cette fois, cet argent serait utilisé à bon escient, sans quoi ça ne servirait définitivement à rien.

-Trop de promesses, je ne t'ai jamais vu en tenir aucune, observa-t-il d'un ton neutre. Et c'était vrai. C'en était épuisant, même. Il aimerait, pour une fois, que Jehan le fasse mentir en agissant de la bonne manière. D'accord, il serait impossible que Jehan change du tout au tout, mais s'il pouvait du moins faire un effort, même minuscule... A compter d'aujourd'hui, je vais poser un regard scrupuleux sur tes comptes, tu devras me tenir informé de la moindre de tes dépenses, et j'irai m'assurer personnellement de la sincérité de tes dires. Il marqua une pause. Sans quoi, je t'assure, je te coupe les vivres.

La menace n'était pas chose fort chrétienne... encore que la lecture de la Bible pouvait laisser entendre le contraire. Mais aux grands maux les grands remèdes.

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rollo ne fit aucun commentaire quand son interlocuteur évoqua la charité chrétienne. Jehan aurait grand tort de l'invoquer, lui qui n'avait jamais manqué de rien, et qui en vérité avait sans doute déjà trop eu. Il y aurait dans le saint livre nombre de paraboles à lui suggérer qui viendraient pointer du doigt son comportement, mais l'homme d'Eglise ne comptait pas s'engager dans ce genre de laïus. Il n'agissait pas, à l'heure actuelle, en tant qu'archidiacre... même si, en réalité, il l'était toujours, peu importe ses actes et ses paroles (et ses pensées... ce qui était un vrai problème pour lui parfois) - il se devait de représenter Dieu en toute circonstance. Non, il agissait en tant que frère. Il ne tendait la main à son frère que parce qu'il était son aîné. C'était un devoir familial, qu'il accomplissait. Et pour lui, ce n'était pas en soi une corvée, certes, et il savait qu'il était présomptueux d'attendre quoi que ce soit en retour. Mais l'absence de réciprocité et de gratitude était parfois déplaisante.

Au moins, et même s'il protestait, Jehan semblait avoir pris ses conditions au sérieux et bien vouloir entendre raison. Tant mieux, Frollo n'aurait pas eu envie de débattre plus longtemps avec son frère. Dans tous les cas, Frollo aurait fini par donner à Jehan ce qu'il voulait. Mais en l'occurrence, ce n'était pas nécessaire, ce n'était même pas nécessaire du tout. Maintenant, il faudrait voir si sa politique de surveillance constante aboutirait à quoi que ce soit... Enfin... surveillance constante, tout était relatif, en réalité. Frollo ne pourrait bien évidemment pas talonner son frère constamment, mais ça n'ôtait rien au fait qu'il comptait garder un oeil méticuleux sur ses dépenses. Oui, Frolla avait parlé, et Jehan n'avait pas le choix, ne lui en déplaise. La messe était dite, sans mauvais jeu de mot, bien sûr.

Il s'éclipsa un court instant le temps de chercher une bourse bien remplie qu'il tendit à son frère. Il n'avait sans doute pas mérité ce don généreux, mais Frollo gardait espoir. Par faiblesse, peut-être, parce qu'il voulait continuer de croire en son frère. Et par conséquent, il voulait penser que cette fois serait différente et que Jehan ne viendrait pas gratter à sa porte d'ici quelques jours, le regard suppliant et les poches vides. Mais rien ne le garantissait.

-Ce n'est pas un acte de charité, précisa-t-il alors que Jehan récupérait son dû potentiellement démérité. C'est une marque de confiance. Montre-t'en digne.

Ses paroles résonnaient comme un avertissement, mais il était tout à fait possible que son frère ne l'entende pas de la sorte pour autant.

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peine la bourse atterrit-elle entre les mains de Jehan que son frère commença d'ores et déjà à regretter son geste. Il apprécierait que Jehan prenne la peine d'apprécier cette confiance qu'il lui accordait, conjuguée à quelques pièces sonnantes et trébuchantes, à leur juste valeur, mais de toute évidence, ce n'était pas le cas. Il n'était pas vraiment chrétien que d'attendre après la gratitude d'autrui et tout acte généreux se devait d'être désintéressé, mais il était tout de même difficile pour l'archidiacre de ne pas s'agacer du comportement de son cadet qui, même qund il obtenait gain de cause, était incapable de ne pas fanfaronner. Frollo, ce n'était pas la première fois, songeait que s'il n'espérait pas de sa part de quoi gagner sa vie, puisqu'il semblait incapable de le faire par lui-même, il ne le verrait jamais. C'était peut-être aussi en partie pour cette raison q'il cédait à chaque fois, car au moins, quand son frère était dans le besoin, il se rappelait au bon souvenir de son aîné et l'homme d'Eglise pouvait espérer avoir de ses nouvelles. C'était très peu, bien moins que les fortunes qu'il abandonnait chaque fois qu'il apportat un soutien financier à Jehan, mais c'était... toujours ça, disons.

Non, Jehan n'était pas digne de confiance, il ne l'avait jamais été, et c'était bien là tout le problème. Quand Frollo daignait lui laisser cette nouvelle chance (en se promettant intérieurement que ce serait la dernière - tout en sachant, au fond, qu'il céderait de nouveau, comme à son habitude), ce dernier n'attendait même pas d'avoir quitté la pièce pour l'abreuver d'une suffisance qui le laissait imaginer qu'il ne tarderait pas à balancer cet argent par la fenêtre, à ne rien faire pour son avenir, à jouer les paniers percés comme il l'avait toujours fait jusqu'alors.

-J'en ai plus d'un, je le crains, répondit posément Frollo, qui se reprochait d'ores et déjà d'avoir cédé une fois de plus.

Il ne devrait pas se blâmer d'avoir l'âme charitable, sans doute, mais il n'avait pas le sentiment de rendre service à son frère en facilitant, indirectement, son train de vie débauché. Si une seule fois il pouvait entendre un remerciement sincère émaner de ses lèvres (car oui, il n'avait même pas pris la peine de le remercier), ou quelque parole engageante, qui le laisseraient soupçonner qu'il avait changer, ou espérait changer, ce serait autre chose. Mais de toute évidence, il ne devait pas y compter.

-Je suppose que puisque tu as obtenu la seule chose que tu es venu trouver ici, tu vas t'en aller, à présent ?

Ce n'était pas une suggestion. Même si Jehan avait le don de l'exaspérer, Frollo ne voulait pas le voir partir. Mais il sentait qu'il allait le faire. Il lui échapperait, comme à son habitude.

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